Nick Leeson L’effondrement de la Barings Bank

Nick Leeson L’effondrement de la Barings Bank

La faillite de la Barings Bank est avant tout l’histoire d’un compte. Le 88 888 a été ouvert en 1992. Dans le jargon, on appelle cela un compte d’erreur. « Parfois, quelqu’un comprend mal un geste de la main et achète le mauvais montant ou le mauvais prix, (…) ou même vend au lieu d’acheter », note Nick Leeson dans son autobiographie « Rogue Trader », transposée dans un film avec Ewan McGregor et Anna Friel. L’une de ses assistantes inexpérimentées, Kim, a commis une telle erreur en juillet 1992. Nick Leeson reporte alors la perte de 20 000 livres sur ce mystérieux compte.

Commence alors la descente aux enfers. Le trader veut combler le trou à tout prix et oublie les règles de prudence en matière d’investissement. Il prend des risques, spécule, et s’enfonce dans les pertes au fil du temps. Nick Leeson perd tout sens de la mesure et de la raison. Le carrousel durera ainsi près de trois ans.

 

« C’était Nick Leeson, et cela aurait pu être n’importe qui d’autre »

Ce sont les mots du directeur général de Multiplus Finance, François-Marie Monnet, dont certains clients de l’époque avaient des titres à la Barings. Les dirigeants n’ont a priori rien vu. Et même s’ils l’avaient vu, Nick Leeson était leur trader vedette, celui qui contribuait de manière significative au profit de la banque et donc à leurs bonus.

Fin 1993, il est responsable d’environ 10% des résultats. La direction de la Barings lui fait entièrement confiance, d’autant plus qu’elle ne comprend pas bien le fonctionnement du trading et des marchés financiers. « Six mois avant cette histoire, une affaire similaire s’est déroulée en France », raconte un ancien employé de la banque. La Barings a perdu 2 millions d’euros et a fermé la filiale française.

Le même scénario s’était produit aux États-Unis un an plus tôt. L’entreprise avait alors pu absorber les pertes. Le groupe n’a pas tiré les leçons de ses expériences, aucune mesure n’a été prise. A Singapour, Nick Leeson gère à la fois le « front desk », responsable des opérations, et le « back office », responsable de l’évaluation quotidienne des engagements. Il est à la fois juge et partie. Le jeune loup bénéficie également d’une organisation confuse. Il doit rendre compte à différents supérieurs, et les responsabilités de chacun ne sont pas bien définies.

 

Compte 88888

Dans les jours qui suivent, ils constatent que le 3 juillet 1992, Nick Leeson a créé, sur ordre de son supérieur londonien, et selon une procédure tout à fait standard, un « compte d’erreur », le compte 88888, mais qu’il ne l’a pas supprimé par la suite malgré la demande de ce même supérieur. Pire encore, ce compte a été enregistré auprès du SIMEX comme compte client à la fin du mois d’août 1992. Son propriétaire officiel était Barings Securities London, une de ses entités. Mais aucune référence à ce compte, si ce n’est le montant quotidien des appels de marge.

 

Les activités illicites de Nick Leeson

C’est à partir de ce moment que Nick Leeson utilise ce compte. D’une part, il se livre à une spéculation à long terme et à la vente d’options sur des produits dérivés, ce qui permet de parier sur le prix futur.

Ce sont des opérations précaires qui lui étaient interdites. D’autre part, il dissimule ses pertes grâce à son double rôle. Il participait aux transactions le matin en tant que patron du front office, et l’après-midi, c’est en tant que responsable du back office qu’il imputait les pertes sur le compte 88888 et les gains sur ses comptes officiels ! Il s’est également rendu coupable de faux et usage de faux.

 

Le contrôle des déficits

Plusieurs contrôles internes ne donnent rien. Nick Leeson parvient toujours à dissimuler les pertes aux auditeurs indiscrets. Il raconte dans son livre comment il a réussi à obtenir l’argent qu’il demandait à Londres, presque chaque jour, pour couvrir sa stratégie illégale et renflouer les 88 888 comptes. Ses fausses déclarations. Fin 1994, le déficit s’élève à 208 millions de livres, soit près de la moitié du capital de la Barings.

 

Pour se refaire, à partir de janvier 1995, Nick Leeson mise tout.

Il mise sur une hausse du Nikkei. Mais, contrairement à ses prévisions, le tremblement de terre de Kobe (Japon) fait chuter l’indice : 50 millions de livres de pertes en une journée. Stressé, le trader échafaude des plans et prend des risques de plus en plus importants pour combler le trou. Le 23 février, son « jeudi noir », il achète à la pelle des titres en baisse sans savoir comment s’arrêter avant la catastrophe. Seul, pour le compte de la Barings, il réalise plus de 40% des opérations à Singapour. Résultat : un gouffre financier de 720 millions de livres, dépassant largement le capital de la banque.

Nick Leeson s’affranchit de son mandat en « arbitrant » les prix entre le bureau de Singapour et la bourse japonaise. Il pousse la spéculation à son paroxysme sans acheter de contrats inversés pour se couvrir. Effrayé par les pertes qu’il a causées, Nick Leeson s’enfuit avec sa femme en Malaisie et envoie sa démission par fax le lendemain. La course ne dure pas dix jours. La chasse au « trader fou » s’achève à l’aéroport de Francfort le 2 mars 1995. Il tente alors de rentrer en Angleterre.

Après neuf mois d’incarcération en Allemagne, il est extradé à Singapour et condamné à six ans et demi de prison. Deux chefs d’accusation ont été retenus contre lui sur onze au départ : fausses informations données à la Commission des opérations de la Bourse de Singapour et fraude, pour avoir obtenu de l’opérateur gérant ce marché asiatique le remboursement de 115 millions de dollars (57 millions de livres) pour des marges financières inexistantes.

 

« Cette histoire a été une douche d’eau froide salutaire pour les gens qui achetaient tout et n’importe quoi ».

Ce n’était pas totalement une surprise pour de nombreux observateurs, ajoute Paul Dembinski, directeur de l’Observatoire de la finance à Genève. Selon lui, cette faillite a accéléré la réflexion sur les risques induits par la mondialisation financière. La solvabilité et l’adéquation des fonds propres sont entrées dans le langage des banquiers. A partir du 1er janvier 2008, les établissements devront appliquer les normes prudentielles définies dans le cadre des accords de Bâle.

Incapable de renflouer ses pertes, la Barings fait faillite le 26 février 1995. La banque néerlandaise ING rachète pour une livre symbolique cette vénérable institution, créée en 1762, dont la famille dirigeante possède plusieurs titres héréditaires de lord et l’une des plus grandes fortunes immobilières d’Angleterre. Heureusement pour les clients de la Barings, l’acquéreur a repris la quasi-totalité des dettes en mars de la même année.